C’était il y a mille cinq cents ans…
… Le temps de Clovis, de Clothilde, de l’Evêque Rémy, le temps des Francs.
C’était le temps de l’invasion de l’île de Bretagne par les terribles guerriers roux, Angles et Saxons. C’est à cette époque – en l’an 494 – à Arcluyd, sur la Clyde (actuellement Dumbarton, en Ecosse) que naît un petit garçon au foyer de Caun, le chef du pays de Strat Cluyd. On l’appellera Gweltas, Gildas.
Le savoir, étant alors le monopole des moines en leurs abbayes, Caun confie Gildas, dès l’âge de 7 ans, à Philibert un anachorète vivant dans l’île d’Oya. Etude de la Bible, étude des textes sacrés, le jeune garçon devient aussi un latiniste émérite, même s’il lui manque la découverte et la pratique des auteurs classiques (mais) païens de la Rome antique.
Ayant ainsi acquis une solide érudition dans le domaine religieux, Gildas, pieux, fervent, est admis par Philibert à recevoir le saint baptême ; baptême par immersion selon le rite celtique.
Ce passage chez les moines solitaires marquera profondément Gildas. Toute sa vie, il aspirera à la solitude, au calme, à la méditation, à la prière.
Gildas a maintenant 14 ans. Philibert lui ayant appris le tout de son propre savoir, conduit alors son excellent élève à son ami Iltut qui dirige à Lancarvan le plus célèbre des monastères du Pays de Galles.
A Lan Iltut, Gildas trouve un monastère d’une toute autre dimension ! Plusieurs centaines de moines et d’élèves rigoureusement logés dans des dizaines de huttes en branchages et en pierres sèches. La vie y est rude mais intense. Sous la Règle et dans l’ascèse chacun travaille et chacun prie. Travaux des champs, travaux manuels, vie religieuse et vie intellectuelle, Lan Iltut est une ruche, une pépinière. Gildas y rencontre Magloire et Sanson, Lunaire et Pol, Aurélien, David et Cado, et Bieuzy, et jusqu’à Taliesin et sa Telyn qui rêve et qui écrit et qui chante ses poèmes et ses odes. Tous deviennent ses amis. Tous lui resteront très attachés. Tous (ou presque) deviendront “nos saints fondateurs” en Armorique. Gildas s’est vite fait remarquer par son sérieux, sa piété, son intelligence, son jugement. Iltut le choisit pour aller en Irlande afin de parfaire son étude des Gaëls et pour renforcer les liens entre Rome et l’Eglise d’Erin fondée par Saint Patrick. Sa mission sera un succès. Il revient au monastère où il est ordonné prêtre. Il a 25 ans et déjà, partout, on l’appelle Gildas le Sage, Gildas le Savant.
Gildas part en mission : errant de villes en villages, plongé au cœur de son peuple celtique désorienté, il perçoit la détresse des siens sans cesse pourchassés, refoulés vers la côte, vers la mer par l’envahisseur germanique. Au contact de ces peuples païens, la foi des Celtes vacille. Gildas reprend, stimule, réconforte.
A trente ans, ayant le souci d’approfondir sa foi, il se rend à Rome » puis à Ravennes pour rencontrer « l’Apostolicus ». C’est au retour de ce pèlerinage dogmatique qu’il aborde pour la première fois à Houat. Houat, une île, une solitude… il a retrouvé Oya. Il est seul avec Dieu seul… le bonheur !
Un bonheur de courte durée : Warroch, le sombre comté de Vannes qui se dit Ri (roi) de Bretagne, supplie Gildas d’évangéliser son pays et d’y établir un monastère. A cet effet, il met à la disposition du moine, un ancien castrum romain abandonné en bord de mer dans la presqu’île de Rhuis, Rhuis, Rhoë ilis, île royale. Gildas y établit sa première cellule dans le tronc évidé d’un vieux chêne multi-centenaire !
534. Gildas a 40 ans. Sa renommée s’est très vite étendue alentour, ils sont maintenant 30 moines et 40 élèves qui se sont assemblés autour du Père. Le monastère a été construit sur le mode de Lan Iltut, une hutte pour chacun et des bâtiments en bois pour les besoins communautaires : église, réfectoire, cuisine. Un peu à l’écart, le four, la forge, les écuries et les étables. Ainsi naissent des prés, des champs, des cultures, des moulins, des routes, des salines. Ici on sculpte le bois, ici on malaxe et tourne les poteries de glaise, ici on bat et on forge du fer, ici on racle et tanne les peaux pour les parchemins du scriptorium. Là, des heures durant, de nuit comme de jour, on prie et on psalmodie, on chante ou on étudie, on se recueille et on réfléchit
Ainsi vit un monastère, dans la paix et dans la joie de Dieu ! Le travail de Gildas ne s’arrête pas aux portes de son abbaye ; avec le soutien de Modeste, l’évêque de Vannes, il participe avec ses frères à l’évangélisation de l’ancien pays de Rhuis. Partout on le réclame, partout on vient à lui. Jusqu’à ses anciens condisciples de Lan Iltut qui accourent chercher conseils, appui, consolations ; Pol de Léon, Lunaire de la côte nord d’Armorique, Cado de son ermitage sur l’ilot de la rivière de Belz, et Bieuzy, son cher ami Bieuzy, qui, après l’avoir aidé quelque temps à Rhuis, s’en est allé se retirer dans la boucle du Blavet à Castennec. Même Brandan, le coureur des mers et d’océans, le moine “nautique” découvreur des geysers d’Islande et des îles d’Amérique, Brandan qui aborde à Rhuis pour entendre Gildas.
Pressé, fatigué, harassé, Gildas fait face. En plus de son travail apostolique, il continue la rédaction d’un traité commencé au temps de son séjour au Pays de Galles, le “de oxcidio Britanniae » (de la ruine de la Bretagne) une œuvre véhémente où il interpelle à la manière du prophète Jérémie, les évêques, les princes et les pasteurs dont les erreurs et les faiblesses sont, pour lui, la cause de la défaite de ses frères en Celtie. Il n’est jusqu’en Irlande ou même à l’ile d’Oya où on le réclame. Et Gildas accourt puisqu’il s’agit toujours d’apaiser des disputes, de réformer le clergé, d’affirmer la foi.
Quand enfin, exténué, il a besoin de se ressourcer, il se rend pour quelques heures à la pointe du Grand Mont, face à Houat, face au large, face à l’immensité, face à Dieu, ou, s’il dispose de quelques jours, il traverse landes et forêts jusque Castennec pour y retrouver son cher frère Bieuzy.
Nombreux sont ceux qui ont aussi recours à ses dons de thaumaturge. Gildas, simplement, humblement, s’exécute. Pour les uns, il apaise les tempêtes, pour d’autres, il éloigne les bêtes dangereuses, souvent il guérit les malades. Il redonnera même vie à Tréphine la pieuse fille de Warroch, brutalement mise à mort par Conomor, son affreux mari, Comte de Poher et de Carhaix.
Puis vient le temps de la vieillesse, qui n’est pas, pour Gildas, le temps du repos. C’est Samson qui l’appelle à Dol : lltut, leur vénérable maître est mourant et il veut, une dernière fois, rencontrer Gildas. C’est Bieuzy que Garo, Seigneur de Kerneur a frappé de son couteau de chasse parce qu’il lui refusait de guérir sa meute atteinte de la rage. Porté jusqu’à Rhuis, il s’éteint dans les bras de Gildas, son ami, son Père. C’est Taliésin, le barde, sentant aussi venir la mort, qui vient chercher une dernière bénédiction du grand sage de Rhuis. Et en 565, il a 71 ans, il reprendra la mer pour ramener une nouvelle fois la paix de Dieu à l’Irlande qui se déchire.
Enfin, à 75 ans, Gildas fait ses adieux à ses disciples. Ils sont alors 300. Une dernière fois, il reprendra son coracle pour gagner Houat, y faire retraite, et s’y préparer à mourir. Puis il fera ses dernières recommandations à ses frères : “Soyez humbles et patients. Ne vous attachez pas aux biens de la terre. Extirpez de vos cœurs, haine, envie et tristesse…
Et quand je serai mort, placez mon cadavre dans une barque… »

Le 29 janvier 570, Gildas expirait à Houat. Il avait 77 ans.
A quelque temps de là, les moines de Rhuis faisant procession pour les rogations, furent stupéfaits et ravis de découvrir, échouée dans une petite anse près de Crouesty, la barque contenant la dépouille mortelle de leur Saint Père Abbé. Dans leur joie mêlée de larmes, pieusement, ils ramenèrent jusqu’en leur monastère, le corps de Gildas, qu’ils inhumèrent tout près de son cher frère Bieuzy et du barde Taliésin.
L’épopée de Gildas ne devait pas s’arrêter là. Au fil des ans, soutenu par le souffle de Gildas, le monachisme continua son expansion en Armorique. Des chapelles, des églises, des Abbayes, des prieurés, tous et toutes placés sous la protection de Saint Gildas, s’élevèrent à travers nos villes et nos campagnes. On en comptera bientôt soixante quinze. Il n’est pas jusqu’à nos bourgades et nos villages qui voudront dédier un hameau, un lieu-dit – un locus- à Gildas, à Gweltas. Ce sera le temps des Loc-Gweltas, que l’on trouve encore de nos jours sous le nom, à peine déformé, de Locqueltas.
Au nombre de toutes ces localités placées sous le patronage de Gildas, il faut, bien sûr, compter Auray.
C’est en effet à la fin du Xème siècle, aux environs de l’an 995, que le Duc de Bretagne Geoffroy 1er succédant à son père Conan le Tort (le boiteux), alors qu’il séjournait dans son Castrum-Alraoe, voulut satisfaire aux besoins spirituels du petit peuple d’artisans et de commerçants qui s’étaient établis alentour du château. Ce duc, qui avait grande dévotion pour Saint Gildas, s’adressa tout naturellement à l’Abbé de Rhuis, lui demandant de créer, pour ses fidèles alréens, un prieuré avec église, cloître et demeure. On pense que c’est pour s’assurer de la présence et de l’assistance des moines qu’il fit donation à l’abbaye de legs assez considérables sur la ville d’Auray. Ces legs et ces dons seront confirmés et augmentés par ses successeurs notamment par la bonne duchesse Constance en mai 1189. “Moi, Constance, fille du Comte Conan, duchesse de Bretagne et Comtesse de Richemond… je confirme et concède au dit Abbé et aux dits moines, la moitié de toutes les coutumes, droits de fournil, tonlieux, dimes, tenures, propriétés et tous les autres droits qu’ils détiennent et possèdent… dans le port, dans mon château d’Auray, dans la chatellerie et dans notre Comté, où ils se trouvent.”
Ainsi donc, depuis près d’un millénaire, l’église puis la paroisse de la ville haute d’Auray, bénéficient-elles de la protection et du patronage du Père Abbé Gweltas, du Grand Saint Gildas le Sage.
Louis Massé
