Entretien paru dans le Journal La Croix du 23/1/25
Cette année, la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens est marquée par le 1 700e anniversaire de la définition du Credo de Nicée-Constantinople. La pasteure Nicole Fabre et Don Maxence Bertrand témoignent de la façon dont il résonne dans leur vie de foi et leur ministère.
La Croix : Le Credo est-il récité dans les Églises protestantes ?
Nicole Fabre : Oui, nous utilisons le Symbole des Apôtres plutôt que le Credo de Nicée-Constantinople, car il confesse paisiblement la foi chrétienne ; il est moins teinté des combats théologiques qui ont marqué la rédaction du Credo. Mais nous nous référons surtout à de nombreuses professions de foi, qui expriment toutes ce que nous croyons avec des mots d’aujourd’hui. Quand les luthériens et les réformés se sont rassemblés au sein de l’Église protestante unie de France, une profession de foi commune d’une vingtaine d’articles a été rédigée en 2017 (1). On la récite lors des synodes régionaux ou nationaux, ou lors de rencontres officielles. Elle exprime la réalité de l’Église qui se rassemble en un lieu et un temps donnés.
Qu’est-ce que le Credo représente spirituellement pour vous ?
Maxence Bertrand : J’ai été marqué par la façon dont l’écrivain britannique C. S. Lewis définit le dogme chrétien. Il le compare à une carte de géographie. Elle a un double avantage : elle est fiable car elle a été constituée grâce à l’expérience des explorateurs, des scientifiques et des géographes ; et elle fournit des points de repères qui donnent la capacité de s’aventurer dans la foi. La lecture d’une carte procure peut-être moins d’émerveillement que la contemplation d’un paysage, mais elle peut conduire plus loin, à l’aventure.
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N. F. : Autant la lecture des textes bibliques a coloré ma foi, autant, pendant longtemps, je ne me suis pas sentie concernée par le Credo. J’y ai été confrontée dans le cadre d’études sur l’histoire de l’Église. J’ai commencé à m’en nourrir, il y a dix ans, à la suite d’un déjeuner avec le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon à l’époque. Nos échanges étaient francs. J’ai pris conscience de l’importance de confesser une Église « une », même si nous n’arrivons pas à être à la hauteur de cette unité que Dieu veut pour nous. Depuis, cette question de l’unité me travaille et me console à la fois. La rencontre avec les autres chrétiens est essentielle, même si ça gratte ! (Rires.) Elle m’aide à ne pas m’enfermer dans mes propres représentations de la foi. Dieu est toujours au-delà de ce que j’en connais et de ce que je peux en dire. Aujourd’hui, je mesure combien le Symbole des Apôtres et le Credo manifestent les racines communes qui nous portent et nous ouvrent un chemin vers cette unité.
Dans votre itinéraire spirituel, quelles sont les phrases qui vous ont particulièrement parlé ?
M. B. : Pour moi, c’est la référence à la double descente du Christ : « Il descendit du ciel », dit le Credo, et « il est descendu aux enfers », indique le Symbole des Apôtres. Il n’est pas suffisant qu’il descende du ciel à la terre, il faut encore qu’il descende de la terre aux enfers, c’est-à-dire qu’il rejoigne les hommes jusque dans leurs lieux de mort, dans leurs obscurités et inquiétudes. La lumière du Christ brille dans nos ténèbres. J’ai expérimenté cette présence forte du Christ par « en bas » dans certains moments d’épreuve… Hans Urs von Balthasar, le théologien suisse, disait qu’on pouvait toujours tomber plus bas que soi, mais qu’on ne tombera jamais plus bas que Dieu.
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N. F. : Quand je récitais la partie qui parle de la conception de Christ, de son incarnation, de sa passion et de sa résurrection, j’oubliais toujours une des étapes. J’ai eu besoin de faire un ralenti pour mesurer combien Dieu agit de façon totalement inattendue. Il n’est pas un Dieu qui fait semblant d’entrer en alliance avec l’humanité, il s’implique personnellement. Je crois qu’on ne réalise pas vraiment ce que cela signifie. C’est un mystère, au sens où on le confesse, mais cela va au-delà de notre compréhension. Il est toujours difficile de tenir ces deux réalités inséparables : Jésus est « vrai Dieu » et « vrai homme ».
C’était déjà l’enjeu de la rédaction du Credo de Nicée-Constantinople ! Cette question est-elle toujours actuelle ?
N. F. : Oui, dans les Églises évangéliques, on va davantage insister sur la dimension divine de Christ ; dans l’Église protestante unie, on insiste davantage sur son humanité. Rappeler un aspect irrite parfois ceux qui sont sensibles à l’autre car ils ont l’impression qu’on le nie ! Le Credo nous aide à tenir ensemble ces deux réalités.
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M. B. : Même chose dans l’Église catholique. Certains sont marqués par la dimension peut-être plus horizontale de l’humanité du Christ, qui a de belles répercussions sociales en matière d’engagement dans la société ; d’autres insistent plus volontiers sur la dimension verticale et contemplative de la divinité du Christ. Ni les uns, ni les autres ne se trompent sur le Christ qu’ils regardent et qu’ils cherchent. Chacun a besoin de faire du chemin dans la rencontre avec Jésus, vrai homme et vrai Dieu…
Comment entendez-vous le passage du Credo qui parle de « l’Église une, sainte, catholique… » ?
N. F. : Littéralement, catholique signifie « selon le tout de la foi ». L’Église est catholique dans la mesure où elle est habitée par une profonde unité dans la diversité. L’Église est le premier signe de ce qui attend le monde à venir, qui sera gouverné selon une tout autre logique que celle du monde : la logique de Dieu qui s’exprime à travers la fidélité, l’amour et le pardon. C’est une très belle perspective ! La sainteté de l’Église n’a rien à voir avec une quelconque perfection morale, elle nous parle de la sainteté de celui qui nous rachète, comme le dit le prophète Isaïe. C’est la sainteté de Dieu, qui reste fidèle à son alliance y compris quand l’humanité bascule dans la surdité, le cynisme, la violence, la folie…
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M. B. : Oui, la catholicité de l’Église est devant nous. Je pense à Jésus qui nous dit : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures » (Jn 14,2). Cela se manifeste à tous les niveaux de la vie de l’Église. Dans ma paroisse à Oullins, si je prends l’exemple de la liturgie, il y a des sensibilités différentes : pop louange, chants africains, messes plus familiales ou liturgie plus traditionnelle. C’est une belle diversité. Être catholique, c’est faire en sorte que chacun se sente chez soi, avec son histoire, sa façon de prier, tout en étant profondément relié aux autres.
« Il viendra juger les vivants et les morts », récite-t-on. L’idée de jugement fait peur, comment l’appréhendez-vous ?
N. F. : Le jugement est synonyme de séparation. Au moment du jugement, Dieu nous offre la possibilité de nous séparer de tout ce qui nous tord, nous défigure dans notre propre vie et dans notre relation aux autres. Il veut nous dégager de tout ce qu’il y a de sordide, de mortifère en nous et autour de nous pour restaurer notre visage d’enfant de Dieu et nous rendre notre liberté d’aimer. Quand Dieu opère une séparation (comme dans la Genèse, la nuit du jour, le ciel de la terre, etc.), c’est pour nous donner la vie.
M. B. : J’aime cette idée : la vie apparaît quand Dieu met fin à la confusion. Dans la Genèse, il crée en distinguant, comme les cellules de notre organisme qui se multiplient en se séparant. La mort fait aussi partie de ces séparations vivifiantes. Quand on arrivera au ciel, on aura la surprise de découvrir le visage de Dieu, mais aussi notre vrai visage « séparé » du mal subi comme du mal commis. Cela rejoint l’idée du salut : le Christ ouvre en nous une brèche intérieure qui crée un passage vers l’apaisement et la joie.
Quelles attentes spirituelles percevez-vous chez les jeunes que vous rencontrez ? L’approche par le dogme est-elle pertinente ?
M. B. : Je perçois un besoin de clarté chez les jeunes adultes, notamment chez ceux qui demandent le baptême. Ils sont en attente d’une parole d’autorité : « Que faut-il croire ? » Ils sont attentifs à la manière de croire mais aussi et surtout au contenu de la foi. Ce besoin de clarté nouveau se manifeste sur le plan moral ou doctrinal ou encore liturgique… Et cela touche toutes les catégories de la société.
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N. F. : Ce besoin de clarté et de sécurité se manifeste aussi chez les jeunes qui se tournent vers les Églises évangéliques. Ils ont besoin d’entendre que, grâce à Christ, leur vie peut changer radicalement, du jour au lendemain. Dans un second temps, certains recherchent les moyens d’inscrire durablement cette conversion dans leur vie de tous les jours. Comme disait le pasteur Dietrich Bonhoeffer : « Fais comme Dieu : deviens homme ! »
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Un Credo, deux formulations liées à l’histoire de l’Église
Le Symbole des Apôtres. Les premiers chrétiens ont éprouvé le besoin de ramasser dans des formules brèves, faciles à retenir, ce qui fait le cœur de leur foi. C’est ainsi que le « Symbole des Apôtres » – qui commence par « Je crois en Dieu » – est apparu au IIe siècle.
Le Credo de Nicée-Constantinople. Une version plus longue a été formulée au IVe siècle. On l’appelle le Credo de Nicée-Constantinople – il débute par « Je crois en un seul Dieu » – car il porte le nom de deux conciles qui ont clarifié la double nature du Christ, à la fois vrai homme et vrai Dieu. Celle-ci a fait l’objet de violentes controverses théologiques qui ont divisé l’Église entre le IVe et le VIe siècle
(1) epudf.org/convictions/declarations-de-foi-et-textes-doctrinaux